Historique de la SASNMR
C'est Emmanuel Blanche (1824-1908), médecin des hôpitaux de Rouen, qui fut le fondateur et le premier président de la Société des Amis des Sciences Naturelles en 1865. Il fut aussi directeur de l'École municipale de Botanique, succédant ainsi à Félix Archimède Pouchet, et professeur d'Histoire Naturelle à l'École préparatoire de Médecine et de Pharmacie de Rouen.
Ainsi, quatre ans après la publication du premier numéro des Actes du Muséum de Rouen, la Société des Amis des Sciences Naturelles est fondée, renforçant ainsi la recherche scientifique régionale (voir les statuts de 1888). Elle se compose alors de notables passionnés par les Sciences naturelles étudiant la faune et la flore locales. Les membres de cette société savante créent une véritable osmose entre leur association et le musée qui profitera – plus tard – des dons de leurs collections et de leurs ouvrages. Dès 1865, un premier bulletin est réalisé, s’ajoutant aux Actes du Muséum. Il sera suivi de très nombreux volumes témoins d'une activité intense.
En préface au bulletin 1940-1941, pages 5-7, publié en 1942, on peut lire ce texte de Robert Régnier, tellement encore d'actualité : "VERS L'AVENIR !"
Ce Bulletin est le dernier (1) d'une longue suite, portant sur sept séries, qui commença en 1885 et succéda au Bulletin primitif d'un format plus réduit créé en 1865 ; il se devait de terminer avec celui qui en fut toujours l'animateur et le mécène, Henri Gadeau de Kerville, dont la grande et noble figure restera l'honneur de notre Société, et de contenir sa biographie avec la liste de ses travaux ; il paraît comme les précédents grâce à son inlassable générosité, qu'il a voulu continuer au delà de la mort et grâce à la compréhension bienveillante de sa famille qui n'a pas attendu la liquidation de sa succession pour nous faire bénéficier de ses dispositions testamentaires. C'est dire avec quel sentiment de gratitude attristée nous devons l'accueillir pour ce qu'il représente à nos yeux : il évoquera à la fois tout un passé de labeur et de difficultés, d'insouciance et d'inquiétude, de tristesse et de deuil, et montrera aux générations futures qu'aux heures les plus sombres de son histoire, la France garde sa vitalité intellectuelle, son besoin de connaître, et sa foi ardente dans les destinées des sciences naturelles, dont les progrès ont tant d'importance pour notre vie.
Les préoccupations matérielles qui assaillent actuellement les peuples constituent pour une bonne part la rançon de l'incohérence humaine, plus avide de jouissances que de réalités ; elles ne s'atténueront, nous en sommes convaincus, que par une étude toujours plus approfondie des problèmes qui régissent notre vie, que par un retour vers la nature qui contient en puissance nos raisons d'espérer ; les excès du machinisme nous avaient fait oublier tout ce que notre existence lui devait : emportés par le tourbillon de la vitesse, hypnotisés par les fictions dont on abreuvait nos sens, nous nous approchions à pas de géant du groufre où notre civilisation menaçait de sombrer ; si les dures épreuves que nous vivons peuvent nous ouvrir enfin les yeux, elles n'auront pas été vaines.
Dans les problèmes posés par l'économie de la société moderne, il en reste un qui dominera toujours les autres, c'est celui de sa subsistance ; que nous importent les progrès scientifiques, s'ils méconnaissent cette loi. La destinée des peuples est intimement liée à sa solution et par conséquent au développement de la connaissance de nous-même (2) et de tout ce qui nous entoure, des êtres comme du sol et des éléments, car la concurrence vitale n'existe pas seulement entre les nations riches et les nations pauvres, elle existe dans nos cellules et nos sécrétions, elle existe dans nos champs, nos jardins, nos forêts, nos maisons, dans la terre que nous cultivons, et les liquides que nous buvons. La vie est une lutte perpétuelle, qu'il faut soutenir sans défaillance si nous voulons durer. A cette tâche doivent concourir tous ceux que leurs goûts et leur intelligence orientent vers l'étude de la nature, et plus particulièrement les groupements comme les nôtres, dont le rôle est non seulement de dresser des inventaires et de diffuser les connaissances, mais aussi de faire des synthèses, et de coordonner les travaux des amateurs, dont la somme des observations apportera quelques pierres à l'édifice qui se construit.
Quels que soient les obstacles que l'on rencontre sur sa route, il faut toujours regarder devant soi le but à atteindre, et même si ceux-ci nous obligent à prendre des sentiers, ne pas s'écarter de la voie directe. La documentation que nous ont léguée les Gadeau de Kerville, les Chevalier, les Nibelle, les Fortin ne doit pas rester un héritage contemplatif, il faut qu'elle serve à développer notre programme d'avenir ; une plante qu'on localise, un fossile qu'on situe, un insecte dont on décrit les caractères et la biologie représentent autant d'éléments utiles à connaître pour pouvoir un jour améliorer une culture, assainir un terrain, amener l'eau dans une ferme, ou défendre une production.
Du travail méthodique de nos groupements scientifiques provinciaux, de leur direction régionaliste dans un sens plus positif n'excluant pas leur mission d'information et de recherche désintéressée, de leur rayonnement sur les activités intellectuelles de la région, dépend dans une certaine mesure le relèvement de notre pays. Si Henri Gadeau de Kerville était encore là, je suis sûr qu'avec l'enthousiasme qui caractérisait sa belle intelligence il applaudirait des deux mains à ce programme.
Si ce Bulletin de guerre est un bulletin de deuil, il doit être aussi un livre d'espérance, parce que, s'il fut élaboré dans la tourmente au milieu des catastrophes, il marque à la fois la fin d'une époque d'erreurs et de mensonges, et l'avènement d'une ère nouvelle, où les hommes veulent "vivre d'abord" et où il est du devoir de notre génération, forte de son expérience et mûrie par les épreuves de deux guerres mondiales, de guider ceux qui tendent leurs mains vers l'avenir.
Appelé par la confiance de mes collègues à présider aux destinées de notre vieille Société, je dédie ce volume à la mémoire d'Henri Gadeau de Kerville, de notre Président Joseph Chevalier et de tous ceux qui on payé de leur vie cette rupture avec le passé ; je le dédie à ceux qui, loin de la terre natale, attendent leur libération, à cette jeunesse qui ne demande qu'à s'épanouir dans le rayonnement de la paix, au milieu d'un monde meilleur, mais qui n'y réussira que si elle rompt avec les habitudes de facilités qui avilissaient les individus et leur faisaient oublier la loi et la hiérarchie des valeurs. La nature détient la clé de notre bien-être parce qu'il n'y a pas de bonheur sans un minimum vital et parce que son équilibre est une leçon et un exemple ; aussi nous n'en approfondirons jamais assez les mystères. En tendant nos efforts dans ce sens nous préparons l'avenir !
(1) A partir de 1942, la Société publiera un bulletin trimestriel contenant les informations et le compte rendu des séances, et en fin d'année, un fascicule spécial pour les travaux scientifiques, dont l'importance sera subordonnée aux ressources de la Société. Le format restera le même.
(2) Dr Alexis Carrel. - L'Homme, cet inconnu."
Aujourd’hui, la Société fait toujours partie du paysage rouennais : études, réunions et sorties mettent régulièrement en contact des scientifiques et une bonne centaine de membres qu'elle regroupe dans les domaines de la mycologie, la botanique, l'entomologie et la géologie. Elle organise des conférences thématiques et des prospections sur le terrain en Haute Normandie avec comme double but la transmission d'un savoir naturaliste régional et la contribution à la meilleure connaissance des milieux en constante évolution.